"La demande harcelante de grands écrivains fait que presque chaque nouveau venu a l'air de sortir d'une forcerie: il se dope, il se travaille,
il se fouaille les côtes: il veut être à la hauteur de ce que l'on attend de lui, à la hauteur de son époque. Le critique, lui, ne veut pas en démordre: coûte que coûte,il découvrira,c'est sa mission – ce n'est pas une époque comme les autres – chaque semaine, il lui faut quelque chose à jeter dans l'arène à son de trompe: un philosophe tahitien, un graffiti de bagnard, – Rimbaud redivivus; on dirait parfois, au milieu
de la fiesta rituelle et colorée qu'est devenue notre"vie littéraire"
,un trompette affolé qui sonnerait tout par peur d'en passer: la sortie
du taureau de course et celle du cheval du picador. Aussi voit-on trop souvent en effet la "sortie" d'un écrivain nouveau nous donner
le spectacle pénible d'une rosse efflanquée essayant de soulever lugubrement sa croupe au milieu d'une pétarade théâtrale de fouets
de cirque – rien à faire, un tour de piste suffit, il sent l'écurie comme pas un, il court maintenant à sa mangeoire; il n'est bon qu'à radioter,
à fourrer dans un jury littéraire où à son tour il couvera l'an prochain quelque nouveau "poulain" aux jambes molles et aux dents longues."
Julien Gracq "La littérature à l'estomac" (Editions josé corti)
"J'ai connu un peu Camus en même temps que Char, dans les années d'après-guerre : c'est dans leur revue Empédocle que j'ai publié autrefois La Littérature à l'estomac. Leurs ouvrages à tous deux me sont restés très proches, et l'éloignement dans le temps commence
à rapprocher aussi, dans la signification de leurs œuvres, deux amis dont les silhouettes pouvaient sembler si différentes."
(Correspondance Julien Gracq à propos de Char et de Camus )