La photo de classe (Oradour 11 juin 1944)
The Picture Day
Oradour June 11th, 1944
Oradour
Oradour n’a plus de femmes
Oradour n’a plus un homme
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus de pierres
Oradour n’a plus d’église
Oradour n’a plus d’enfants
Plus de fumée plus de rires
Plus de toits plus de greniers
Plus de meules plus d’amour
Plus de vin plus de chansons.
Oradour, j’ai peur d’entendre
Oradour, je n’ose pas
approcher de tes blessures
de ton sang de tes ruines,
je ne peux je ne peux pas
voir ni entendre ton nom.
Oradour je crie et hurle
chaque fois qu’un coeur éclate
sous les coups des assassins
une tête épouvantée
deux yeux larges deux yeux rouges
deux yeux graves deux yeux grands
comme la nuit la folie
deux yeux de petits enfants :
ils ne me quitteront pas.
Oradour je n’ose plus
Lire ou prononcer ton nom.
Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos coeurs ne s’apaiseront
que par la pire vengeance
Haine et honte pour toujours.
Oradour n’a plus de forme
Oradour femmes ni hommes
Oradour n’a plus d’enfants
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus d’église
plus de fumées plus de filles
plus de soirs ni de matins
plus de pleurs ni de chansons.
Oradour n’est plus qu’un cri
et c’est bien la pire offense
au village qui vivait
et c’est bien la pire honte
que de n’être plus qu’un cri,
nom de la haine des hommes
nom de la honte des hommes
le nom de notre vengeance
qu’à travers toutes nos terres
on écoute en frissonnant,
une bouche sans personne,
qui hurle pour tous les temps.
Jean Tardieu
Les Dieux étouffés (1944)